La Chambre régionale des comptes de La Réunion et de Mayotte vient de publier un rapport accablant sur la gestion du patrimoine du Département de Mayotte. Premier propriétaire foncier de l’archipel avec 37 % du territoire (140 km²), la collectivité accumule retards, irrégularités et pertes financières importantes, faute d’une stratégie claire et d’un suivi rigoureux.
Un inventaire incomplet et une absence de vision à long terme
Le Département gère 231 bâtiments répartis sur 140 sites, pour une surface totale de 61 666 m². Pourtant, aucune base de données exhaustive et à jour n’existe. L’absence d’inventaire empêche toute rationalisation de l’occupation, de l’entretien et des dépenses énergétiques. Certaines parcelles sont même occupées sans titre par des tiers, exposant la collectivité à des risques juridiques.
La Chambre souligne également qu’aucun schéma directeur immobilier et énergétique n’a été finalisé, malgré l’obligation légale de réduire la consommation des bâtiments tertiaires. Le manque de stratégie se traduit aussi par le recours persistant à la location (8 M€ sur 2019-2023) alors que le parc immobilier est sous-utilisé.
Des irrégularités dans l’attribution de logements de fonction
Le rapport pointe des concessions de logement accordées à des agents et élus ne remplissant pas les conditions légales, ainsi que des conventions d’occupation précaire sans réelle astreinte. Certaines charges ne sont pas refacturées, et les avantages en nature ne sont pas toujours inscrits sur les fiches de paie. La Chambre demande une mise en conformité avant fin 2025.
Occupations illégales et lourdes condamnations financières
Plusieurs terrains appartenant à des particuliers sont occupés sans droit, entraînant des condamnations coûteuses. L’affaire du domaine de Dembéni a déjà coûté plus de 3 M€ au Département. Autre exemple : le domaine Marmande, exproprié pour un port jamais construit, a conduit à une indemnisation judiciaire de 1,5 M€.
Un bâti dégradé et peu entretenu
Selon un état des lieux de 2016, 64 % des bâtiments sont en mauvais ou médiocre état. Les dépenses annuelles d’entretien (environ 686 000 €) sont jugées insuffisantes. Certains sites historiques, comme l’ancienne résidence des gouverneurs à Dzaoudzi-Labattoir, restent à l’abandon malgré des financements déjà obtenus.
Régularisations foncières et cessions : un rythme trop lent
L’opération de régularisation foncière engagée depuis 1996 reste inachevée : 5 274 parcelles restent à traiter. Le rythme récent (158 régularisations en 2023) est jugé insuffisant au regard des moyens humains mobilisés. Certaines cessions ont été effectuées en méconnaissance des règles, et les échanges de terrains avec l’État accusent de forts retards.
Acquisitions coûteuses et mises à disposition gratuites mal encadrées
Parmi les opérations critiquées, l’achat en 2019 d’un hôtel particulier à Paris pour 12 M€, destiné à la délégation de Mayotte, est jugé disproportionné. Le rapport dénonce aussi l’absence de suivi des mises à disposition gratuites de locaux, parfois sans convention, et l’absence de facturation de redevances pourtant prévues par la loi.
Six recommandations pour redresser la barre
La Chambre formule six recommandations, dont :
- établir un inventaire complet du patrimoine avant fin 2025,
- adopter une stratégie foncière et immobilière détaillée,
- mettre en conformité les concessions de logement,
- suivre rigoureusement les cessions,
- produire chaque année l’état des variations d’immobilisations,
- encadrer juridiquement et valoriser les mises à disposition de locaux.
Un frein au développement du territoire
Selon la juridiction financière, « l’inertie » du Département freine le développement de Mayotte, déjà confrontée à de fortes tensions foncières. La clarification des titres de propriété et la valorisation du parc immobilier sont jugées essentielles pour dégager des recettes et soutenir les projets publics.













