La Chambre régionale des comptes (CRC) a publié son rapport définitif sur la gestion de la Chambre de métiers et de l’artisanat de La Réunion (CMAR). Ce document met en lumière les efforts de redressement entrepris, mais aussi les fragilités persistantes de l’établissement, confronté à un environnement réglementaire mouvant et à de lourdes contraintes financières.
Un contexte national et local bouleversé
Depuis 2018, plusieurs réformes ont profondément modifié le rôle et les ressources des chambres consulaires. La loi sur l’apprentissage a ouvert le marché à de nouveaux organismes de formation, multipliés par cent en quelques années à La Réunion (de 11 en 2018 à plus de 1 000 en 2024). La loi Pacte de 2019 a, elle, contraint les CMA à développer des activités lucratives pour compenser la baisse de la taxe pour frais de chambres (TFCMA).
Dans le même temps, le territoire réunionnais reste marqué par des fragilités sociales et économiques structurelles : un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale (17 % contre 7,3 % en 2024), une pauvreté élevée (36 % contre 15 % en métropole) et une forte proportion de jeunes sortant du système scolaire sans diplôme.
Une stratégie de transformation en marche
Face à ces défis, la CMAR a adopté en juin 2024 un plan de transformation « Cap 2027 ! », décliné en six axes stratégiques. Parmi eux : la rationalisation de l’offre de services, une campagne numérique pour dynamiser l’apprentissage, un redéploiement territorial, ainsi que la modernisation des fonctions supports grâce à la digitalisation et au pilotage par indicateurs.
La mise en œuvre reste toutefois à ses débuts : si certains projets (nouveaux services, création d’une direction de la relation client, Pass Cma Liberté) sont lancés, la réorganisation des équipes et la mutualisation des fonctions administratives et pédagogiques avancent lentement.
Des finances encore fragiles
Après avoir résorbé un déficit cumulé ancien, la CMAR affiche à nouveau un résultat déficitaire en 2024 (-200 000 €). Ses produits d’exploitation, en particulier ceux liés à l’apprentissage, sont en baisse, tandis que les charges, notamment salariales, continuent de croître.
Sa trésorerie demeure structurellement négative, compensée en partie par la mise à disposition gratuite des infrastructures de formation par la Région. La CRC alerte : sans une meilleure gestion de ses coûts et un développement de recettes nouvelles, la viabilité financière de la CMAR est menacée.
Une offre de formation sous pression
La CMAR accueille environ 4 300 stagiaires par an, dont près de la moitié sont des apprentis. Mais depuis 2022, les entrées en apprentissage diminuent, accentuées par la baisse des niveaux de prise en charge des contrats. Le taux de rupture avoisine les 30 %.
Si l’organisme dispose de plateaux techniques dans quatre CFA, l’occupation reste inégale et l’offre souffre d’un manque de lisibilité. La CRC recommande de mieux articuler formation initiale et continue, de renforcer les filières en tension (énergies renouvelables, numérique, agroalimentaire, tourisme) et de rationaliser les charges locatives.
Des missions de service public non financées
La CMAR est chargée de missions d’intérêt général : validation des acquis de l’expérience (VAE), examens de taxis et VTC, appui en temps de crise. Or, ces activités sont peu ou mal financées et grèvent ses ressources propres. La CRC dénonce une « injonction paradoxale » : l’État et la Région exigent le maintien de ces missions sans apporter de financements suffisants.
Un conventionnement avec la Région, qui permettrait de clarifier les financements des filières déficitaires, reste à engager.
Des carences dans le contrôle interne
Enfin, le rapport souligne de graves insuffisances en matière de gouvernance :
- commissions internes peu activées,
- décisions prises sans vote de l’assemblée générale (ex. indemnités de représentation, cessions d’actifs),
- prévention embryonnaire des conflits d’intérêts,
- faiblesse du contrôle interne et du reporting.
La CRC appelle à une professionnalisation de la gestion financière et à une refonte du système de contrôle.
Les recommandations de la CRC
Des recommandations sont émises, dont :
- fiabiliser la base des ressortissants assujettis à la taxe,
- instaurer une véritable gestion de trésorerie,
- conclure une convention avec la Région,
- mettre en place une comptabilité analytique des coûts,
- renforcer le contrôle interne et le suivi des marchés publics.
La CMAR se trouve à la croisée des chemins. Engagée dans un plan de transformation ambitieux, elle doit concilier modernisation de ses services, équilibre financier fragile et maintien de missions de service public essentielles à l’artisanat réunionnais. La réussite de cette mutation dépendra de sa capacité à réorganiser ses équipes, à mieux contrôler ses finances et à obtenir un soutien clair de l’État et de la Région.













