Le rapport accablant de la Chambre régionale des comptes de Mayotte met en lumière une gestion financière fragilisée, des engagements flous et une dépendance alarmante à l’aide de l’État. Dans un contexte d’explosion démographique et de besoins sociaux croissants, le Département peine à sortir la tête de l’eau.
Un modèle financier déséquilibré
Depuis son passage à la fiscalité de droit commun en 2014, Mayotte fait face à une profonde mutation de son modèle économique. Les dotations de l’État représentent aujourd’hui plus de la moitié des ressources courantes du Département. Or, ces recettes demeurent insuffisantes pour couvrir à la fois le fonctionnement quotidien et les investissements d’infrastructure, indispensables dans un territoire à croissance rapide.
La collectivité a épuisé les 150 millions d’euros de dotations exceptionnelles reçues entre 2016 et 2018, censées compenser les transferts de compétences en matière d’aide sociale à l’enfance (ASE) et de protection maternelle et infantile (PMI). Résultat : une situation budgétaire devenue structurellement déficitaire.
Un contrat d’engagement à la portée limitée
Pour tenter de redresser la barre, un contrat d’engagement a été signé entre l’État et le Département le 8 décembre 2023. Celui-ci prévoyait deux aides ponctuelles : 50 M€ en 2023 et 100 M€ en 2024. En échange, le Département s’engageait sur 40 actions réparties en sept thématiques, allant de la maîtrise des dépenses à la valorisation du domaine public.
Mais selon la Chambre, ces engagements sont flous, non hiérarchisés et peu contraignants. Pire, les versements ont été effectués même en l’absence de preuves concrètes du respect des obligations contractuelles. La gouvernance prévue (comités de suivi mensuels, comités nationaux) a fonctionné de manière sporadique et désorganisée.
Des comptes insincères et une gestion peu fiable
Le Département est également pointé du doigt pour la faiblesse de sa comptabilité d’engagement, l’émission tardive des titres de recettes, et des prévisions budgétaires insincères en 2023. Par exemple, la taxe sur le tabac et la CVAE ont été surestimées de plusieurs millions d’euros, tandis que les dépenses de fonctionnement ont été largement sous-évaluées.
Autre point noir : le recours massif aux cabinets de conseil (1,2 M€ en 2023), malgré les 3 000 agents employés. Cette externalisation ne semble pas avoir produit d’amélioration notable dans la gestion budgétaire ou la planification des investissements.
Des budgets annexes en péril
Les deux budgets annexes du Département – santé/protection de l’enfance et transports maritimes – sont structurellement déséquilibrés. Le budget santé, par exemple, affiche un déficit cumulé de 112 M€, malgré des dotations exceptionnelles passées. Le Département a dû verser 37 M€ en subvention d’équilibre en 2023, preuve d’un désengagement progressif de l’État.
Concernant les transports scolaires, les promesses d’équipements sécurisés pour les bus (polycarbonates) ont été partiellement tenues, et les surcoûts (6,1 M€ au lieu des 2,5 M€ initialement prévus) ont été couverts par les deniers propres du Département.
Une situation critique, malgré les aides
Si le Département a pu stabiliser ses finances en 2023 grâce au versement de 50 M€, cette bouffée d’air reste temporaire. La Chambre alerte sur une trésorerie dépendante des avances (comme les 16 M€ de l’AFD) et souligne des manquements graves : absence de délibérations sur des taxes, irrégularités comptables, retards de paiement, etc.
Des recommandations fortes pour l’avenir
Parmi les recommandations clés de la Chambre figurent :
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l’instauration d’un document unique regroupant tous les concours de l’État,
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la tenue d’une véritable comptabilité d’engagement,
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la régularisation des taxes sur carburants via délibération,
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une réorganisation des procédures de paiement pour respecter les délais légaux.
Vers une refondation contractuelle ?
Alors que le gouvernement prévoit une reconduction de l’aide exceptionnelle de 100 M€ en 2025, la Chambre insiste sur la nécessité de revoir le contrat d’engagement : des objectifs clairs, mesurables, durables, assortis d’un contrôle renforcé. Elle suggère également une meilleure articulation avec les contrats de convergence et de transformation, aujourd’hui déconnectés des réalités financières locales.
Conclusion
Mayotte se trouve à la croisée des chemins. L’enjeu n’est plus uniquement celui d’un soutien financier ponctuel, mais bien celui de la construction d’un modèle de gestion viable, autonome et résilient, capable d’accompagner les immenses besoins sociaux et infrastructurels du territoire.














