Près de dix ans après son dernier contrôle, la Cour des comptes publie un rapport sévère sur France Télévisions. Si l’entreprise publique a réussi à consolider son statut d’acteur incontournable du paysage audiovisuel français, elle fait aujourd’hui face à une équation financière et sociale jugée « critique », qui pourrait mettre en jeu sa pérennité si des réformes structurelles ne sont pas engagées rapidement.
Un groupe central du service public audiovisuel
Avec près de 9 000 salariés et un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros en 2024, dont 80 % issus de financements publics, France Télévisions demeure la principale entreprise de l’audiovisuel public. Le groupe édite cinq chaînes nationales (France 2, France 3, France 4, France 5, franceinfo), gère la plateforme france.tv (35 millions de visiteurs uniques mensuels en 2024) et un réseau de proximité avec 24 antennes régionales et 9 stations ultramarines.
Leader de l’information en France, le groupe touche quotidiennement 17 millions de personnes via ses journaux et ses offres numériques. Sa plateforme franceinfo.fr est la première source d’information nationale en ligne, devant les acteurs privés.
Des progrès dans l’unification et le numérique
Le rapport salue les avancées réalisées depuis 2017 dans la mise en place de « l’entreprise unique » : une organisation plus intégrée, une direction éditoriale transversale, une rédaction nationale commune pour France 2, France 3 et franceinfo, ainsi que le développement de filiales comme France.tv Studio, désormais deuxième producteur de programmes du groupe.
La stratégie numérique, renforcée après l’échec coûteux de Salto (perte estimée à 58 M€), porte ses fruits. France Télévisions a rattrapé TF1 en termes d’audience numérique et a innové lors des Jeux olympiques de Paris 2024, atteignant des records de fréquentation en ligne.
Mais une situation financière alarmante
Ces succès masquent mal une fragilité croissante. Entre 2017 et 2024, France Télévisions a cumulé un déficit net de 81 M€ malgré des efforts d’équilibre budgétaire. Les Jeux olympiques ont offert un répit ponctuel grâce à la publicité, mais la loi de finances 2025 prévoit déjà une baisse des concours publics (2,506 Md€ contre 2,53 Md€ en 2024).
Résultat : un budget 2025 en déficit de près de 40 M€, une trésorerie « au plus bas » et surtout une chute vertigineuse des capitaux propres, passés de 294 M€ en 2017 à 179 M€ en 2024, en dessous du seuil légal de sécurité. Si rien n’est fait, l’État actionnaire devra recapitaliser ou réduire le capital social d’ici fin 2026 pour éviter une dissolution.
Le nœud du problème : un cadre social figé
La Cour des comptes pointe un obstacle majeur : l’accord collectif de 2013, qui rigidifie l’organisation du travail et empêche l’évolution des métiers. Avec près de 160 classifications distinctes, la polyvalence reste limitée, contraignant France 3 en particulier.
La masse salariale, malgré une baisse des effectifs, n’a pas diminué, gonflée par l’ancienneté, des avantages jugés « généreux » (véhicules de fonction, comités d’entreprise, régimes de départs avantageux) et des unités de compétences complémentaires coûteuses.
La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, a annoncé en juillet 2025 la dénonciation de cet accord, ouvrant la voie à une renégociation jugée « indispensable et urgente » pour adapter l’entreprise aux évolutions technologiques et financières.
L’avenir : réforme sociale et convergence des réseaux
La Cour recommande à la fois une renégociation globale du cadre social, une mutualisation accrue des moyens techniques et financiers, et la mise en place rapide d’un contrat d’objectifs et de moyens réaliste. Elle insiste également sur la nécessité de renforcer la convergence entre France 3 et France Bleu (Radio France) autour de la marque commune « ICI », encore trop timide malgré des expérimentations.
Un défi existentiel pour le service public
France Télévisions reste un pilier du débat démocratique et du soutien à la création audiovisuelle et cinématographique française. Mais sa survie à moyen terme dépend de sa capacité à moderniser son organisation sociale, stabiliser ses financements et poursuivre sa transformation numérique.
Sans ces réformes, conclut la Cour, l’entreprise risque de se trouver dans une impasse financière irréversible, malgré la confiance que continuent à lui accorder les Français.














